Aspects quantitatifs de la prescription homéopathique

La quantité et la qualité sont toutes deux importantes dans la posologie. Les méthodes de posologie les plus raffinées de Hahnemann reposent sur ce principe. Pour quelle raison Hahnemann a-t-il abandonné l'administration des dynamisations de base en gouttes au profit des petites granules de sucre sur lesquelles il faisait sécher la dynamisation ? Justement parce qu'il avait déterminé que l'administration du médicament sous forme de gouttes représentait une dose trop importante et provoquait des aggravations superflues ainsi que des symptômes pathogénétiques.

Il commença alors à utiliser des granules de taille 10 mais au bout d'un moment il réduisit la dose à seulement une granule dans un minimum de 120 ml d'eau. Et même alors la dose était soigneusement ajustée en rapport avec la sensibilité de la constitution. Il ne s'agit en aucun cas d'imitation du concept allopathique de doses pondérales. La méthode de dosage des remèdes de Hahnemann est la plus raffinée qui soit dans l'art de guérir. A mesure qu'il augmentait la dynamisation, Hahnemann réduisait la quantité administrée. Il faut soigneusement méditer cela.

Il est une croyance communément répandue dans l'homéopathie moderne qu'il n'y a pas de différence dans l'action du remède homéopathique selon que l'on donne une, cent, mille ou une infinité de granules. Kent est à l'origine de cette idée que l'on trouve dans ses Cours de Philosophie homéopathique (trad. Schmidt La Science et l'art de l'homéopathie), dans le chapitre consacré à la substance élémentaire (simple substance). Cette conception date du XVIII ème siècle, époque ou on considérait que toutes les formes d'énergie avaient pour support une substance subtile. Cette vision était influencée par le théorie newtonienne selon laquelle il existe des atomes permanents responsables de toutes les formes d'énergie.

Hahnemann a été l'un des premiers visionnaires à exprimer qu'il puisse exister des formes d'énergie pure sans support matériel ni aucune substance subtile. " Dans l'état de bonne santé, la force vitale anime la partie matérielle du corps " (Organon, §9). Kent protestait contre l'emploi par Hahnemann de termes comme force vitale, énergie vitale, ou principe vital parce sa conception de l'énergie reposait sur la substance élémentaire. Comme il n'envisageait pas l'existence d'énergie pure, Kent trouvait douteux ce que Hahnemann écrivait là. (Cf. Lectures).

" S'il (Hahnemann) avait employé les mots substance vitale immatérielle, cela aurait été encore plus profond, parce que vous verrez qu'il s'agit vraiment d'une substance ".

Kent ne pouvait se représenter des phénomènes purement énergétiques parce qu'il pensait que toute force devait être basée sur un état subtil de la matière. Hahnemann assimilait la nature dynamique de la force vitale à des phénomènes naturels de nature électromagnétique plutôt qu'une substance élémentaire. Il était un pur vitaliste qui enseignait que le monde matériel est soutenu par des sources d'énergie radiante, pas par des formes subtiles de matière ni des atomes permanents. Pour Kent toutefois une telle vision était impossible puisqu'il pensait que tout possédait une base matérielle.

" Pendant de nombreuses années il y a eu discussion sur la notion de force en tant que force, ou de pouvoir de construction. La pensée qu'il ne préexiste rien à la force mène l'esprit humain à la folie. Si on envisage l'énergie comme quelque chose de matériel on ferait aussi bien de croire qu'une substance puisse avoir de l'énergie ".

Kent pensait qu'un " quatrième état " de la matière était le précurseur de toutes les formes d'énergie ou de force. Il ne pouvait concevoir la matière comme étant une forme condensée d'énergie puisqu'il ne pouvait imaginer qu'une force provienne de " rien ". L'idée d'atomes permanents remonte à Démocrite et s'est perpétuée jusqu'à ce que Einstein ouvre la voie en direction de la physique quantique au début du XX eme siècle. Kent pensait que le processus de dynamisation réduisait le remède homéopathique en sa substance élémentaire, de sorte que le remède lui-même entrait dans le quatrième état de la matière.

Swedenborg enseignait que dans le 4eme état de la matière il n'y a pas de " quantité " de substance élémentaire mais seulement " qualité en degrés de finesse ". C'est pourquoi Kent enseignait qu'il n'y a pas de différence dans l'action d'une haute dynamisation selon qu'on donne une ou un millier de granules. Kent pensait que la finesse en degrés de la substance élémentaire représentait la hauteur de la dynamisation. D'autre part, la substance élémentaire ne possédant pas de quantité, le nombre de granules administrés était indifférent. C'est pourquoi tant d'homéopathes modernes confondent la notion de dose minimale avec l'idée d'une haute dynamisation.

La physique moderne formule que toutes les formes d'énergie sont contenues dans des petits paquets d'énergie nommés quanta (pluriel de quantum. N.D.T.). L'amplitude d'une force augmente avec le nombre de quanta à une longueur d'onde donnée. Dans le même ordre d'idées, Hahnemann enseignait que chaque granule de remède homéopathique possédait une certaine quantité ou " quantum " d'énergie médicinale. En un sens, la dynamisation du remède représente l'onde de forme ou la fréquence de l'énergie et le nombre de granules représente l'amplitude ou la puissance du signal. C'est pourquoi la puissance d'une dose homéopathique augmente chaque fois que le praticien fait absorber plus de granules.

Beaucoup d'homéopathes modernes interprètent la taille de la dose comme étant synonyme du niveau de dynamisation utilisé, croyant à tort que l'usage de la dose minimale est en rapport avec l'infime quantité de substance originale présente dans la haute dynamisation. Ce n'est pas le cas puisque Hahnemann parle de la différence entre la quantité de dose et le facteur dynamisation dans ses ouvrages. Dans l'Organon il écrit qu'une quantité excessive du remède bien choisi est dangereuse, surtout s'il est donné dans une haute dynamisation (§ 275).

" Un remède, même homéopathiquement approprié, est nuisible quand la prise donnée est trop grande en volume et davantage encore si celle-ci est trop fréquemment répétée. " (§ 276)

Hahnemann enseignait que le phénomène d'aggravation est non seulement en rapport avec la dynamisation mais aussi avec le nombre de granules administrées. On constate ainsi que les vues de Hahnemann sur les mécanismes énergétiques se rapprochent beaucoup de celles de la physique quantique du XX ème siècle qui transcende à la fois les idées de Newton et de Swedenborg. En homéopathie, la dose minimale est une règle très importante qui sert de guide en pratique quotidienne.

Un enfant qui absorbe un grand nombre de granules d'un remède qui ne lui convient pas ne court aucun danger. D'un autre côté, on a parfois observé des symptômes pathogénétiques dans les mêmes conditions. Il y a un vrai danger quand le remède est parfaitement homéopathique et que le patient est sensible, ou bien présente une maladie chronique évoluée ou des changements pathologiques non manifestes. Ceci n'est pas du tout une question théorique pour ceux qui ont travaillé avec les solutions médicinales ainsi qu'avec les méthodes d'ajustement de la dose. Hahnemann décrit sa propre expérience d'avoir administré une trop grande quantité de granules dans les Maladies Chroniques.

" J'ai moi même connu cet accident, qui gêne énormément la guérison et que l'on ne saurait trop éviter. Ignorant encore l'énergie de la puissance médicinale, je donnais Sepia en trop grande quantité. C'était encore plus manifeste quand je donnais quatre à six globules de Lycopodium ou de Silicea dynamisés au millionième degré à peine gros comme des grains de pavot. "

Après cela Hahnemann réduisit la dose à une ou au plus deux granules dans la 4ème édition de l'Organon (1829) puis à la solution médicinale obtenue à partir de la dissolution d'une seule granule dans la 5ème (1833) et 6ème édition. Bien que Kent pensât que cela ne faisait aucune différence de donner une ou mille granules, ou bien une ou cent cuillerées de solution, les méthodes introduites par Hahnemann dans l'édition de 1837 des Maladies Chroniques et la 6ème édition de l'Organon montrent que cette conception est fausse. J'ai soumis ces idées au feu de l'expérience depuis 12 ans et je possède maintenant des centaines de cas qui attestent que Hahnemann a raison et que Kent a tort. Voici simplement quelques exemples.

1.Une jeune femme hypersensible éprouvait une très forte aggravation chaque fois qu'elle prenait une granule de 6CH après quoi son état s'améliorait un peu pour rechuter à nouveau. Elle pensait être trop sensible pour suivre un traitement homéopathique et était prête à abandonner. En faisant une solution médicinale dont elle ne prenait qu'une cuillerée, le remède ne produisit plus d'aggravation de sorte qu'il fut possible de répéter aux moments convenables jusqu'à guérison. Voici un exemple qui montre comment le passage de la dose sèche à la dose liquide (avec les succussion avant chaque prise) évite l'aggravation et rend le remède renouvelable chez une personne hypersensible qui aurait eu autrement des vives réactions à chaque prise. Cet exemple montre qu'il y a une différence selon la façon dont on administre le remède ainsi que selon sa quantité.

2.Un homéopathe prit Carb-v 200 sous forme d'une dose sèche sans aucune réaction. Pourtant le remède semblait parfaitement indiqué. Je lui conseillais alors de prendre le remède en solution à raison d'une cuillerée. Quelques doses de cette solution de 200 sucussée 5 fois avant chaque prise afin de changer à chaque fois la dynamisation le guérirent rapidement. Voici un autre exemple où la solution fonctionne là où la dose sèche ne produit aucun résultat. Si la quantité ne fait pas de différence que ce soit en solution ou en forme sèche comme le dit Kent, alors comment expliquer cela ?

3.Une femme qui prenait une dose de Cimic LM1 dans une solution de 120 ml pour des migraines eut une aggravation de ses symptômes. Après avoir doublé la quantité d'eau de sa solution il n'y eut plus jamais d'aggravation, elle put répéter tous les trois jours pendant un mois et les migraines ne revinrent pas. Cet exemple montre la façon d'ajuster la dose en utilisant plus d'eau dans la solution mère. Cela adoucit l'action du remède sur sa constitution et le rend renouvelable sans aggravation.

4.Un patient souffrant d'apnée du sommeil prenait Ars LM1 dans une solution de 200 ml, sucussée 3 fois avant la prise, la dose étant de 1 cuillerée de la solution mère diluée et remuée dans un verre de 200 ml. Après la prise, il y eut une aggravation de quelques uns des symptômes concomitants pendant 3 jours suivie d'une légère amélioration puis d'une rechute. Sans changer le nombre de succussions, on dilua une cuillerée du premier verre dans un second verre dont le patient prit une cuillerée. Cela entraîna un changement radical et fit disparaître l'apnée du sommeil. Avec cette façon de procéder, il n'y eut aucune aggravation. Cet exemple montre comment la dilution du remède à travers deux verres successifs permet d'obtenir un résultat frappant alors que la prise diluée seulement dans un seul verre d'eau ne provoquait qu'une aggravation suivie d'une légère amélioration. Cela ne montre-t-il pas clairement le rôle de la quantité ? Selon Kent, cela n'aurait pas dû affecter l'action du remède.

5.Lors d'une prescription d'une solution à sucusser 5 fois avant la prise, un patient répondit bien à la première dose. Quand je lui prescrivais une seconde dose, il oublia de secouer sa bouteille et le remède n'eût aucune action. Après en avoir parlé ensemble je lui rappelais de secouer sa solution avant d'en prendre, et la prise agit de nouveau aussi bien que la première fois. Cet exemple montre comment la répétition du remède sans succussion ne produit aucun effet. Quand le remède fut dynamisé de nouveau comme Hahnemann le suggère au paragraphe 248, il agit très profondément. Cela démontre l'importance de la succussion et du changement de dynamisation de chaque dose. Il s'agit là d'un sujet connexe sans rapport avec la quantité de dose.

Hahnemann mentionne dans l'Organon que certain états nécessitent l'augmentation de la taille de la dose pour obtenir une guérison. Le premier exemple qu'il donne concerne la manifestation primaire cutanée d'un miasme chronique. Voici quelques exemples personnels de cette méthode.

Dans un cas de gale, la quantité normale d'une cuillerée n'agit pas suffisamment pour faire partir les parasites. Dans l'aphorisme 248, Hahnemann parle d'augmenter par paliers d'une cuillerée la dose du remède quand le besoin s'en fait sentir. En augmentant progressivement la quantité de dose de 1 cuillerée à 2 puis 3 cuillerées les parasites furent rapidement éliminés. J'ai procédé ainsi de très nombreuses fois.

6.Un cas de teigne ne répondait que lentement à des doses répétées de Bacillinum LM1 donné à raison d'une cuiller à la fois. L'augmentation du nombre de succussions ne changea rien. La dose fut alors renouvelée plus souvent mais là encore sans effet. En augmentant la quantité de la dose à 3 cuillers, il y eut une réponse immédiate et la lésion commença à disparaître. Cette dose plus importante agit là ou de plus petites échouaient. Le nombre de succussions resta inchangé.

Hahnemann cite encore comme exemple de cas nécessitant l'augmentation de la quantité de la dose ceux dans lesquels l'état de santé général du patient s'est amélioré mais qu'il subsiste une affection locale rebelle. J'ai souvent vu des cas ou l'on obtient une nette amélioration générale mais où les troubles pathologiques ou lésionnels s'accrochent. Dans de tels cas, le mieux est de commencer par la plus petite dose nécessaire pour obtenir une réaction puis de l'augmenter lentement jusqu'à obtenir un effet sur les signes locaux.

7.Je me souviens d'un cas de Calc LM1 que je donnais à un homme présentant un nombre incroyable de symptômes dont une impuissance qui le déprimait considérablement. Il répondit très bien mentalement et physiquement aux premières doses mais l'impuissance traîna jusqu'à ce que j'augmente cuillerée par cuillerée la quantité de la dose sur un certain laps de temps. L'impuissance disparut et il demeure guéri aux toutes dernières nouvelles.

On a une autre raison d'augmenter la quantité de la dose quand un cas semble ne plus progresser.

8.Un patient présentait une hypertrophie de la prostate avec une mélancolie concomitante, une impuissance, un jet urinaire faible, et une sensation de pression dans le périnée. Je lui prescrivais d'abord une cuiller de Conium qui produisit une nette réponse. Il augmenta alors de lui même la quantité à 2 cuillers et obtint une aggravation similaire (dose trop importante). Je lui conseillais de stopper les prises pendant quelques jours pour reprendre ensuite à une cuillerée. Le traitement fonctionna très bien en LM1 et LM2 avec la disparition des symptômes les plus importants. Puis il sembla que l'action du remède s'essoufflait, comme si l'on atteignait un plateau. J'augmentais alors lentement la quantité de dose de 1 cuiller à 2 puis 3, et le cas recommença à progresser favorablement, de sorte que le patient est aujourd'hui très très amélioré. Si la taille de la dose ne fait aucune différence, comment ceci peut-il se produire ?

Les cas qui précèdent sont autant d'exemples où les méthodes d'ajustement de la dose font toute la différence entre la réussite ou l'échec d'un cas. C'est tout bonnement le diagnostic du remède aurait été remis en question si je n'avais pas adapté la dose dans ces cas. Ces méthodes sont en rapport avec les innovations que Samuel Hahnemann a introduites dans la 5ème (1833) et la 6ème (terminée en 1842) éditions de l'Organon ainsi que dans l'édition de 1837 des Maladies Chroniques. Ces méthodes demandent au médecin plus de talent artistique mais l'accroissement de la connaissance s'accompagne de celle de la responsabilité.


La contribution de James T. Kent à l'homéopathie a été monumentale. Son enseignement sur la philosophie, la matière médicale et le répertoire demeurent fondamental pour tout praticien homéopathe. Pour moi qui étudie l'homéopathie, Kent est mon maître respecté. Néanmoins la perfection ne peut se trouver qu'en Dieu Tout-Puissant, c'est pour cette raison que le grand Constantin Hering a dit : "il est de notre devoir à tous d'aller encore plus loin dans la théorie et la pratique de l'homéopathie que Hahnemann le fit. Nous devrions rechercher la vérité qui se trouve devant nous et renoncer à nos erreurs du passé."

Un étudiant comme moi ne pourra jamais transcender les connaissances de Hahnemann, Hering ou Kent, aussi le présent travail n'a-t-il pas d'autre ambition que de faire mieux connaître les vues de Hahnemann sur la dose minimale.


Auteur: David Little.
Source: http://www.planete-homeo.org/pros/strategies/quantite-homeopathie.htm

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